Citations & poésie

Petit florilège de littérature cycliste...

On trouvera d’autres bouquets ainsi qu’une bibliographie sur le très beau site encyclique.com.


« Si on allait boire un coup ? dit Camier.
Je nous croyais d’accord, dit Mercier, pour ne plus boire qu’en cas d’accident, ou d’indisposition. Cela ne figure-t-il pas parmi nos nombreuses conventions ?
Il ne s’agit pas de boire, dit Camier, il s’agit de prendre un petit verre, en vitesse, pour nous donner du coeur au ventre.
Ils s’arrêtèrent au premier bar.
Pas de vélos ici, dit le patron.
Réflexion faite, ce n’était peut-être qu’un employé.
Lui, il l’appelle un vélo, dit Camier.
Sortons, dit Mercier.
Fumiers, dit le barman.
Et maintenant ? dit Camier.
Si on l’attachait à un bec de gaz ? dit Mercier.
On serait plus libre, de ses mouvements, dit Camier.
Ils se décidèrent finalement pour une grille. Cela revenait au même.
Et maintenant ? dit Mercier.
On retourne chez monsieur Vélo ? dit Camier.
Jamais, dit Mercier.
Ne dis jamais ça, dit Mercier.
Ils allèrent donc au bar d’en face. »

Samuel BECKETT, Mercier et Camier, Editions de Minuit.


« C’est que le vélo s’attache moins aux anecdotes qu’à la chronique : il tient les annales des caractères humains et de leurs affrontements. Certains de ces rôles vont à des comparses, d’autres à des figurants, d’autres encore à des preux. Tous cependant sont des braves. Le vélo n’admet que des figures considérables et des sentiments imposants.
(...) Il faudra qu’on m’explique un jour par quel tour de prestidigitation tant de paisibles pères de famille, qui chaussent le soir des pantoufles doublées de peau de mouton, qui s’installent dans un fauteuil profond en caressant quelque animal familier, et qui consacrent leur soirée à pétuner un tabac hollandais que leur femme apprécie pour son odeur de miel et que leurs enfants leur offrent pour chaque fête des pères, se transforment soudain en monstres sanguinaires sitôt qu’ils aperçoivent devant eux un cycliste sur une route de campagne. »

Jean-Noël BLANC, La légende des cycles, Quorum.


« Louis-Ferdinand Céline disait volontiers que l’ennuyeux dans les guerres, c’est que ça se passe généralement à la campagne. À l’inverse, l’un des agréments du Tour de France tient à ce qu’il se déroule dans une ambiance de fête champêtre, parfois imprégnée de l’odeur des foins. La caravane et le folklore s’investissent mutuellement et, aux bonnets publicitaires dont ils se retrouvent coiffés, les indigènes répondent par le vacarme fanfaron des fanfares locales. La course, ivre d’horizons, devient alors une sarabande.
(...) On prête au peloton une vie intérieure intense. Certains le voient comme un salon où l’on cause à cinquante à l’heure, d’autres comme une jungle impitoyable d’où les plus retors sont exclus, d’où les faibles s’excluent d’eux-mêmes. De toute façon, c’est un « milieu » avec sa loi, son code d’honneur, où il convient de se montrer régulier sous peine de règlements de comptes. Il est animé par une double ambition : en sortir par l’avant, ne pas le quitter par l’arrière. Mais il arrive, tôt ou tard , que des coureurs finissent par ouvrir ou fermer la course comme des guillemets encadrant une citation plus ou moins étirée, qui n’est autre que le peloton lui-même. »

Antoine BLONDIN, Sur le Tour de France, La Table Ronde.


« Claire fermait les yeux quand je l’embrassais sur la bouche. Il y avait toujours un lit ou un canapé derrière nous. Là, tout habillés, nous nous frottions nos sexes respectifs avec une convivialité exaltée, un empressement carnivore, un acharnement onaniste. Ce jour-là, nous avions, sans nous concerter, entrepris de pousser nos jeux un peu plus loin. Malheureusement pour Claire, Raymond Poulidor en décida autrement. Dans l’ultime étape de Paris-Nice, l’ascension chronométrée du col d’Eze, il ravit le maillot blanc à Eddy Merckx. La télévision marchait derrière nous : lorsque j’appris qu’Eddy était battu de six secondes au classement final, j’avais la tête enfouie entre les seins de Claire. En un éclair, je fus debout, flageolant, chaviré.
- Il a perdu ? demanda Claire.
- C’est de notre faute. »

Olivier DAZAT, Panache, Le Dilettante.


« Pour aimer à folie la bicyclette, il faut en faire beaucoup. Pour en faire beaucoup, il faut s’entraîner. Pour s’entraîner, il faut de la volonté. Pour avoir cette volonté, il faut aimer la bicyclette.
Ce cycle, on le voit, est vicieux.
Mais quelque apparence pitoyable que vous lui trouviez parfois, ne plaignez pas le cycliste : enviez-le. Il a découvert que le tapis volant et les bottes de sept lieues des contes existaient bel et bien et, par la même occasion, le sérum de longue vie.
Le cycliste n’est pas, comme on feint de le croire, un automobiliste déchu. C’est un piéton miraculé. »

Jacques FAIZANT, Albina et la bicyclette, Calmann-Lévy.


« Les cartes routières sont pour moi des machines à rêve. J’aime les lire comme on lit des livres d’aventure. En tant qu’automobiliste, je les utilise pour le plus court chemin, pour les longues rues qui joignent les villes aux villes sans passer par la campagne. Cycliste, je les utilise pour tout le reste. Si je connais le coin, chaque centimètre de la carte est un paysage qui se déplie. Si je ne le connais pas encore, chaque centimètre est un paysage que j’imagine et que j’explorerai. J’aime les cartes de la Bretagne, par exemple, qui est une terre cycliste où je n’ai jamais pédalé. C’est ma réserve, ma cave. C’est ce chef-d’œuvre que l’on a dans sa bibliothèque et que l’on n’a pas encore lu. »

Paul FOURNEL, Besoin de vélo, Seuil.


« Coup de tonnerre en Provence. Jean de La Ciotat, l’homme qui s’est effondré hier après-midi sur les pentes du terrible col de la Joux Plane, auait pris rendez-vous chez le médecin en fin de journée Marseille pour obtenir un certificat médical de non contre-indication à la pratique du cyclisme de compétition, un rendez-vous pris depuis au moins trois semaines. C’est du moins ce qu’annonçait lundi en fin de matinée le Cycling an Culture Mirror. Une information qui n’a pas été confirmée par l’intéressé, mais qui, si elle se révélait exacte, pourrait avoir de grandes conséquences sur l’avenir des relations sport de masse et culture contemporaine. Joints par téléphone dans la soirée, les anciens coéquipiers du grimpeur mantais se sont refusés à tout commentaire. »

Jean de LA CIOTAT, Jean de La Ciotat confirme, P.O.L.


« Et puis, il n’est rien où le résultat obtenu corresponde plus exactement à l’effort donné. On a la joie de créer en vitesse et en impressions l’équivalent de ce qu’on a dépensé en énergie et en espoirs. On avance parce qu’on est fort et souple, et l’on voit de belles choses parce qu’on est capable d’aller les voir. N’y a-t-il pas là de quoi être fier et satisfait ? Oui, satisfait, car chaque coup de pédale reçoit sa récompense immédiate et magnifique. On se réjouit d’être l’objet d’une perpétuelle justice. »

Maurice LEBLANC, Voici des ailes, Phébus.


« Quand ils gravissaient l’Izoard et le Galibier, ils ne semblaient plus appuyer sur les pédales, mais déraciner de gros arbres. Ils tiraient de toute leur force quelquechose d’invisible, caché au fond du sol, mais la chose ne venait jamais. Ils faisaient : « Hein ! Hein ! », comme les boulagers la nuit devant leur pétrin.
Je ne leur parlais pas ; je les connais tous, mais ils ne m’auraient pas répondu. Quand leur regard rencontrait le mien, cela me rappelait celui d’un chien que j’avais et qui, avant de mourir, en appelait à moi de sa peine profonde d’être obligé de quitter la terre. Puis ils baissaient de nouveau les yeux et s’en allaient, courbés sur leur guidon, fixant la route, comme pour chercher à savoir si les gouttes d’eau qu’ils semaient étaient de la sueur ou des larmes ».

Albert LONDRES, Les forçats de la route, Arléa.


« Grand-père n’admettait pas qu’au repos les pneus touchassent le sol. Conséquence : tenu sous la selle et au guidon par quelques maillons de chaîne accrochés à deux pitons plantés au plafond, l’Alcyon, en majesté, se balançait au-dessus du plancher, dans le corridor. Déclarer que la rencontre avec cet oiseau d’acier était toujours présage de paix et de sérénité serait duper. Surtout quand un membre de la famille se heurtait à une pédale ou aux papillons serrant les roues. « C’en est assez ! C’en est trop ! » On écumait. On se promettait de faire entendre raison au vieux schnock. Cependant, élevée tel le saint sacrement, la bicyclette demeurait. »

Louis NUCERA, Du soleil dans mes rayons, Grasset.


« Le coureur cycliste sait qu’il reste souvent un prolétaire respectant des règles précises, faisant confiance à son entreprise et roulant pour un patron. Mas le coureur cycliste peut être un révolutionnaire. A un moment donné, imparable, il peut s’opposer à la loi et tenter de renverser les valeurs de sa petite société.
Pédale, camarade, le vieux monde est derrière toi... Car, petit à petit, il y a le réel qui te rattrape avec son cortège de souffrance, de malheur, de petites mesquineries et de vraies embrouilles... »

Jean-Bernard POUY, 54 x 13, L’Atalante.


« Tous ces maillots jaunes passés peuvent brader leurs trophées chez le brocanteur du coin. Un homme qu’on n’attendait pas est venu dans l’épopée cycliste, ses jambes pleines de poils et ses bidons pleins de vin pour graver son exploit dans le marbre des journaux. Honneur et gloire à l’école laïque d’abord, bien sûr ; mais aussi au valeureux Bérurier, ratisseur de records, pulvériseur de légendes. La gloire de ses prédecesseurs, il la badigeonne au goudron d’un seul coup, afin qu’elle s’engloutisse dans l’oubli. »

SAN-ANTONIO, Vas-y-Béru, Fleuve Noir.


« Si quelqu’un s’y connaissait en changements de vitesse, cale-pieds, roulements à billes, pignons, chambres à air, pneus ballon, mi-ballon ou boyaux, c’était bien Raoul Taburin, le marchand de cycles de Saint-Céron.
Les grincements, les chuintements, les dérèglements les plus subtils, les interventions les plus délicates, rien ne pouvait prendre en défaut la compétence de Raoul Taburin.
D’ailleurs sa réputation était telle que, dans le canton, on ne disait plus un vélo, mais un Taburin. »

SEMPÉ, Raoul Taburin, Denoël.


« La véritable révolution (vélorution) peut tout simplement venir de cette alternative matinale : je prends mon auto ou mon vélo ?
Celui qui aura choisi la voiture et donc enchaîné des mouvements secs, précis et mécaniques, subi les embouteillages avec résignation ou excitation, bataillé pour trouver une place de stationnement, emporte avec lui dès le début de sa journée de travail une partie de cette programmation neuro-linguistique fortuite. Il est à craindre qu’elle pèsera de toute sa nocivité sur ses moindres décisions ou relations humaines. Celui-là est bien parti pour alimenter de son feu déjà bien attisé le grand Moloch de l’esprit de compétition.
Imaginons maintenant que le même homme ait choisi de prendre place dans le Grand Processus de Production, plutôt à vélo. Attaché-case sur le porte-bagage, il aura humé l’air vif, surfé entre les tôles d’âcier, coursé un moineau fou, été transpercé par cette lumière matinale du début du monde, et « revirginisé » de par ce fait.
Ainsi, dans l’état singulier d’ouverture que procurent les sensations, son attitude au travail en aura été transfigurée. Même dans des proportions infimes (poison lent, ou plutôt contrepoison). Et un peu chaque jour, jusqu’à ce que (pourquoi pas ?) la vacuité absolue de son activité humaine lui éclate au nez comme une chambre à air dans une descente. Inoculons le vélo ».

Didier TRONCHET, Petit traité de vélosophie, Plon.


Et quelques poèmes :

La bagnole et Chtivélo

La bagnole ayant roulé
Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la crise fut venue :
Plus un seul petit courant
D’essence ou de carburant.
Elle alla crier besoin
Chez Chtivélo, son voisin,
Le priant de lui prêter
Un bidon pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle.
« Je vous paierai, lui dit-elle,
Dès avril, foi de bagnole,
Deux cents litres de pétrole. »
Chtivélo n’est pas débile :
C’est là son moindre défaut.
« Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-il à l’automobile.
 Nuit et jour à tout venant,
Je polluais à mon aise.
 Vous polluiez, c’est balaise !
Pédalez donc, maintenant. »

Jean de la F.


Demain, vélo...

Demain, vélo. À l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Je sais, personne ne m’attend.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis rester sans pédaler plus longtemps.

Je roulerai les mains posées sur le guidon,
Pour tout voir au dehors, entendre chaque bruit,
Seul, tournant les jambes, sifflant une chanson,
Joyeux, le jour pour moi sera sans un ennui.

Je pourrai contempler l’or du soir qui descend,
Et les nuages au loin filant sur Armentières,
Et quand j’arriverai, affamé, haletant,
J’engloutirai des frites, et deux chopes de bière.

Victor H.


Les vélos

Seigneur, quand froide est la mairie,
Quand, dans les quartiers abattus,
Les longs carillons se sont tus...
Sur la commune défleurie
Faites s’abattre sur la terre
Ces chers vélorutionnaires.

Armée étrange aux cris bizarres,
Les vents froids attaquent vos mains !
Vous le long des maisons carmin,
Sur les routes aux vieux radars,
Sur les pavés et sur les trous
Dispersez-vous, ralliez-vous !

Par milliers, dans les rues de France,
Où crachent des autos d’hier,
Tournoyez, n’est-ce pas l’hiver,
Pour que chaque passant repense !
Sois donc le crieur du devoir,
Ô notre fougueux vélo noir !

Mais, maîtres, en haut du beffroi,
Mât perdu dans le soir charmé,
Laissez la bicyclette en mai
Pour ceux qui traînent sans effroi
Dans Lille d’où l’on veut s’enfuir,
Vélorution de l’avenir.

Arthur R.